Résumé de la journée d'étude sur le territoire littéraire au Havre dans la première moitié du XXem siècle
Le 28 janvier 2011 s'est tenue à l'université du Havre une série de conférences mettant en avant la relation entre la ville du Havre et l'écriture. Cette journée a été l'occasion de donner un panorama des auteurs ayant fréquenté la ville, de voir comment elle apparaît dans les pages de leurs œuvres, mais surtout d'étudier l'influence de l'environnement havrais sur l'écriture et sur les œuvres en général.
La journée s’est ouverte sur une analyse des territoires littéraires de la ville, et des éléments propices à la naissance d'une identité littéraire. Le Havre possède de nombreux atouts favorables à cette identité littéraire. Nous pouvons citer en premier lieu la présence de la mer, qui est une porte ouverte sur le reste du monde, une invitation aux voyages et aux autres cultures, et qui place la ville aux frontières de la capitale française, mais aussi de l'Amérique. La présence du port revêt également une grande importance, puisque c'est l'occasion pour les auteurs d'observer dans un même espace le monde ouvrier d'une part, et le monde bourgeois du négoce et de la haute société en général d'autre part.
Une fois le contexte social et historique expliqué, l'accent a été mis sur un auteur havrais d'adoption, mais dans l'œuvre duquel la ville a une grande importance. Il s'agit d'Armand Salacrou (1899-1989). L'auteur s'est servi des observations à la fois sociales et culturelles faites au Havre pour retranscrire le malaise qu'il ressent face aux injustices sociales, et à l'absurdité de l'existence. Il fait de la ville du Havre le point d'encrage de son identité et donc de son œuvre. Le lecteur découvre dans son autobiographie appelée dans la salle des pas perdus, que le Havre est pour lui la ville des expériences fondatrices, et ce constat est d'ailleurs visible dans l'ensemble de son œuvre. il y retranscrit tous les constats faits au Havre, comme les nombreux cas d'injustices sociales, ou d'indifférence à la souffrance, et fait de la ville le décor de trois de ces pièces de théâtre. Il semblerait donc que Le Havre soit à l'origine de l'œuvre d'Armand Salacrou, qui y puise l'essence d'un théâtre social, souvent manichéen.
Puis, des années 1930 aux années 1960, la crise économique, suivie de la guerre, entrainent le déclin de la vie culturelle havraise. Seul le champ musical reste actif, sans doute du fait de l'influence américaine et du développement des cultures populaires. Il faut attendre la période d'après guerre pour voir renaître la vie culturelle. Michel Leiris (1901-1990) donne une explication à se renouveau, et l'attribue aux destructions dues aux bombardements. Dans son autobiographie l'âge d'homme, il établit un parallèle entre sa propre évolution et celle de la ville. On y retrouve l'idée que la destruction est la condition nécessaire à la reconstruction. L'évolution psychologique de l'homme dans le roman est donc comparable à l'évolution de la ville, qui se remet du bombardement.
Le Havre a aussi influencé l’écriture de Georges Limbour (1900-1970). En 1935, il écrit Le Panorama, un récit autobiographique sur son enfance passé au Havre (où il a séjourné de 1900 à 1918). Georges Limbour porte un regard d’adulte sur une ville, il retranscrit la dualité des deux mondes : celui du visible, du « dehors » et celui du ressentie, de l’intérieur, du « dedans ». Limbour, sensibilisé par la peinture grâce aux peintres havrais deviendra un véritable amateur d’art. Pour lui, la peinture ne doit pas correspondre à la fidèle réalité du miroir mais elle doit recréer un monde ; tout comme la peinture de Picasso et Braque qu’il admirait.
Le Havre est également présent dans l'œuvre de Céline (1894-1961), qui est attaché à la ville à la fois par son histoire familiale, son père et son grand père étant d'origine havraise, mais aussi pour avoir travaillé durant quelques mois à Montivilliers, ville voisine. Nous retrouvons dans Mort à crédit (1936), dont la rédaction s'est faite en grande partie au Havre, des références récurrentes au sémaphore, qui devient alors le lieu métonymique de la ville. Pour lui, le port, la mer et les bateaux sont un appel à la rêverie, et sont donc source d'inspiration. La ville stimule son imaginaire comme le montre sa réinterprétation de l'œuvre de Bernardin de Saint Pierre (auteur havrais du XVIIIe siècle) Paul et Virginie, et sert parfois de décor à ses arguments de ballets (c'est-à-dire au résumé d'une histoire mise en scène au théâtre).
Mais la ville revêt également une importance capital chez Sartre qui y a vécu et enseigné. C’est d'ailleurs sur une ville fictive en tout point similaire au Havre qu'il fonde l'une de ses œuvres les plus célèbres : La nausée. La rédaction de cette œuvre d'abord appelée Mélancoliacoïncide avec son premier séjour au Havre (1931). Dans ce roman, la ville n'est pas identifiée de façon explicite. Le narrateur parle de Bouville, qui possède toutes les caractéristiques du Havre et de Rouen, en dehors des noms. La journée de conférence s'est donc achevée sur le retour à la notion de territoire littéraire : en ôtant les noms propres qui définissent la ville, Sartre fait de son roman une métaphysique du non territoire. Le seul territoire littéraire qui soit n'est pas un lieu géographique, mais la page, et finalement le livre permet de créer ou recréer un espace géographique (ici il s'agit de Bouville), et donc un territoire littéraire, accessible uniquement par la page.